Extrait…

« Au printemps 2020, je ne savais plus que faire des fictions. J’étais prise dans un désir contraire. Comme avant, comme pendant l’enfance, il y avait le désir de trouver des héros embarqués dans des histoires lancées à vive allure, des personnages qui ne connaissent ni l’attente ni les ordres, c’est-à-dire que j’éprouvais le désir que le pays de la fiction soit radicalement étranger à la réalité et que, dans ce pays-là, on sache quel est l’avenir des choses et des êtres (“dans deux semaines, ceci”) et que je puisse y trouver un soulagement, m’arracher aux contraintes. Mais, a contrario, j’éprouvais aussi le désir de trouver des fictions qui répondent à mon état impuissant et suspendu, aux interconnexions multiples que révélait la pandémie, à l’incompréhension de l’événe­ment, au morcellement des causes et des temporalités, à mon/notre impossibilité de prévoir les conséquences et donc impossibilité à finir, à résoudre… Trouver des fictions qui cessent de me donner l’illusion qu’une poignée d’hommes peut faire ou défaire le destin de tous.

Je veux à la fois que la fiction m’arrache au monde et qu’elle m’éduque sur lui. Est-ce que les deux sont irréconciliables ? »

Toute une moitié du monde, parution le 31 août 2022, 21 €, 135 x 210, 272 pages, ISBN : 9782080259332. 

Alice Zeniter est née en 1986. Elle a publié six romans, parmi lesquels Sombre dimanche (Albin Michel, 2013, prix du Livre Inter, prix des lecteurs de L’Express et prix de la Closerie des Lilas), Juste avant l’oubli (Flammarion, 2015, prix Renaudot des lycéens), L’Art de perdre (Flammarion, 2017, prix littéraire du Monde et prix Goncourt des lycéens) et Comme un empire dans un empire (Flammarion, 2020). Elle est dramaturge et metteuse en scène.

Le livre…

« S’il y avait un message diffusé dans des haut-parleurs avant l’entrée en territoire de fiction, il ressemblerait, curieusement, à celui des assurances ou des banques jointes par téléphone : Patientez quelques instants, vous allez être mise en relation… Ce que je cherche, sans doute, depuis le début, en tant que lectrice et en tant qu’écrivaine, ce sont des récits qui me permettent d’entrer en relation avec des êtres qui me sont inconnus et me deviendront proches, tout comme des récits qui leur permettent – à l’intérieur de la fiction – des relations riches, complexes et fragiles. »

S’il ne s’agit plus d’expliquer le monde – qui le pourrait ? –, il semble urgent de le multiplier, c’est-à-dire de faire rentrer dans le roman, aux côtés des héros et héroïnes bien connus, tous ceux qui n’ont pas encore été suffisamment racontés. Renouveler les formes, habiter de nouveaux personnages pour, in fine, lire et écrire autrement. Affirmer qu’il manque à la fiction toute une moitié du monde qu’il resterait encore à représenter, c’est dire aussi qu’il lui reste cette même moitié du monde à explorer. « Et ça me paraît le plus beau des programmes », écrit Alice Zeniter dans ce livre hautement stimulant, nourri d’expériences, de lectures, de réflexions et d’idées sur nos manières de lire et d’écrire.

Avec autant de gaieté que de sérieux, Alice Zeniter ouvre en grand les fenêtres de la fiction à venir.