Extrait…

« Je suis sortie de l’exposition sans avoir ressenti d’enthousiasme, sans être choquée non plus, puisque je n’attendais rien de particulier. Comme je l’ai dit, je prenais les choses comme elles venaient, et je les prenais ainsi dans une galerie d’art comme… je les avais prises à Sathonay, au-dessus de Lyon, pour ma première partouze. Mes connais­sances artistiques étaient si maigres que je n’avais pas plus d’idée de ce qu’était une oeuvre d’art moderne que je n’avais d’a priori moral sur ce qu’il convenait de faire ou de ne pas faire avec les hommes. Depuis la plus petite enfance, j’occupais la place de l’observatrice et, par définition, les observateurs attendent de voir. Ce fut une chance. En 1966, ma toute nouvelle vie m’avait provisoirement vidée de mes illusions, mon imagination était vacante, et voilà que je tombais sur ces jeunes artistes qui eux-mêmes ne devaient pas très bien savoir dans quelle voie ils s’engageaient. Je faisais connaissance avec leurs oeuvres sur une sorte de terrain vague de l’art où j’avais pénétré presque par hasard, n’ayant pas la moindre idée de ce que j’allais trouver dans la galerie, sachant à peine ce qu’était une galerie d’art. »

Commencements, parution le 31 août 2022, 20 €, 135 x 210, 250 pages, ISBN : 9782081486218. 

Catherine Millet est entre autres l’auteur de La Vie sexuelle de Catherine M (2001), Jour de souffrance (2008), et plus récemment Une enfance de rêve (2014). Elle dirige la revue artpress et écrit sur l’art contemporain.

Le livre…

Au milieu des années 1960, une adolescente, dans un café, observe de loin un groupe de jeunes gens absorbés dans leur discussion. Elle ne sait pas encore qu’ils concoctent une revue de poésie. Mais bientôt, elle attachera ses pas aux leurs. Premières lectures, premières amours, découverte de l’émotion esthétique, premiers écrits.

Après Une enfance de rêve, Catherine Millet tente de détisser le mysté­rieux entrecroisement de hasards, de désirs confus, d’opportunités plus ou moins bien comprises qui conduisent une jeune fille sans bagage, sans argent et sans grande culture à quitter sa banlieue pour le Saint- Germain-des-Prés des artistes et des galeries d’art. La vie intime et la vie professionnelle inéluctablement se mêlent.

L’époque, c’est Mai 68 à Paris et c’est l’émergence du quartier de SoHo à New York, l’apparition d’un art qui ne ressemble pas à l’art – art minimal, conceptuel, performances, land art –, c’est-à-dire la naissance de ce qu’on appelle aujourd’hui « l’art contemporain ». Quatre ans après ses débuts aux Lettres françaises, le grand hebdomadaire culturel que dirigeait Louis Aragon, Catherine Millet et son compagnon Daniel Templon fondent artpress, une revue qui, cinquante ans plus tard, est toujours au plus près de la création artistique.

Commencements est le récit d’une éducation sentimentale qui est aussi une édu­cation sexuelle et une formation intellectuelle.