Extrait…
« Le chauffeur conduisait pied au plancher. Le changement de décor s’accélérait à l’approche de Rome. La végétation mourait et renaissait, plus sauvage, selon que le regard se posait sur un délire urbanisé ou sur une zone abandonnée, deux spécialités dans lesquelles la ville excellait. Les goélands, déchaînés et affamés, dessinaient des spirales à l’assaut des décharges. La nuit, ils étaient attirés par les spots supposés donner du faste aux grands monuments, et tournoyaient autour dans un vol macabre. Rome était un discours à part. Sous la pluie, c’était celui d’un fou qui, comme ce n’est pas rare, contenait des bribes de vérité.
À Rome, la pluie rappelle à tout un chacun que la modernité est un battement de cils dans le déroulement infini du temps. Les rues se transforment en torrents noirâtres qui emportent les scooters garés. On dirait que la ville est sur le point de s’écrouler, laissant entrevoir une ville antérieure. Si la pluie continuait, il y aurait fort à parier que les anciens dieux reprendraient possession des lieux. Mais ce n’est pas là le message. Tôt ou tard, toutes les villes seront détruites par la pluie. Pluie. Guerre ou famine. Temps, tout simplement. La conscience de l’ultime, les habitants de Rome l’ont dans le sang. Pour ceux qui habitent ici, la fin du monde a déjà eu lieu, la pluie a pour seul effet pénible de faire déborder du verre un vin qu’en ville on boit du matin au soir. »
La ville des vivants, parution le 31 août 2022, 23 €, 145 x 220, 512 pages, ISBN : 9782080301741. Traduit de l’italien par Laura Brignon.
Nicola Lagioia est né en 1973. Il a remporté le prix Strega en 2015, le plus prestigieux d’Italie, pour son dernier roman La Féroce (Flammarion, 2017) et le prix Viareggio pour Case départ (Arléa, 2014). Ses œuvres ont été publiées dans quinze pays. Il est actuellement directeur du Salon international du livre de Turin.
Le livre…
L’assassinat barbare de Luca Varani, 23 ans, dans un appartement de Rome en mars 2016 fit la une des journaux et bouleversa d’autant plus l’opinion publique qu’il ne semblait y avoir aucune explication, aucune justification à ce meurtre perpétré par deux jeunes gens de bonne famille.
En reconstruisant minutieusement les faits et les jours qui les ont précédés, Nicola Lagioia ne part pas seulement à la recherche du point de rupture à partir duquel le pire peut arriver. Il écrit une autre histoire de Rome et de ses habitants, il sonde la part d’humanité mais aussi la part de nuit qui habite chacun des protagonistes. Rome, aussi malfaisante que splendide, est sans conteste le personnage principal de ce livre foisonnant et révèle, à mesure que l’on chemine dans ses rues, les secrets de vies que l’on dit « sans histoires », les ambitions cachées ou les désirs de rédemption, reflets d’un monde souterrain scintillant parfois à la surface de l’eau. Et que nous le voulions ou non, ce monde est le nôtre. C’est toute l’habileté du romancier que de plonger le lecteur au cœur de cet événement tragique et de l’impliquer au même titre que ses acteurs. Il remonte ainsi à la source de ce qui nous fascine tant dans le fait divers : l’illusion rassurante que les monstres seraient faits d’un autre bois.
« Lagioia fait palpiter une Rome impitoyable et répugnante, chaotique et immorale, mais aussi magnifique et hypnotique, mélancolique et poignante, jusqu’à l’addiction. »
Il Fatto quotidiano