Extrait…

« Du sixième, la Cité paraissait très basse, comme écachée contre la terre par le plat d’une grosse main ; seuls quelques édifices étaient passés indemnes entre ses doigts épais, comme cet imposant monument en U qu’on ne pouvait pas manquer à cause de l’envergure de ses ailes et, en son centre et tout autour, ce qui ressemblait à une foisonnante forêt urbaine. “C’est le Haut Château”, a dit ma mère tandis que je portais mes yeux au loin, où, de l’autre côté d’un pont jeté sur un vaste canal serpentin, les immeubles s’élevaient, se densifiaient, s’assombrissaient, leur gris crayeux formant un contraste saisissant avec les intenses couleurs sable et terre que je balayais du regard à mes pieds. À la droite du Haut Château et de son immense étendue verte, j’ai cru discerner une tache rose, bavure d’un feutre sur un dessin achevé, trop lointaine pour que j’en perçoive la forme exacte ; ses contours sphériques et ce vermeil incandescent ont cependant eu sur mon corps un effet curieusement violent : toute la ville s’est mise à clignoter de mille lumières, éclaboussures claires sur fond soudain sombre. Le souffle rompu par le tournis, les jambes cassées, je me souviens nettement d’avoir ressenti un appel du vide. Le visage raide de ma mère était là pour que je m’y accroche. Les pieds alignés au bord du promontoire, ses yeux étincelaient, ses joues pincées en un sourire aigu. Elle n’avait pas du tout envie de sauter. Elle jouissait de son triomphe. »

Diana Filippova est née en 1986 à Moscou. Elle partage sa vie entre la chose publique et l’écriture. L’Amour et la Violence est son premier roman.

Le livre…

Valentin vit avec sa mère Jeanne dans une chambre de bonne. La vue sur la Cité est à couper le souffle. La vue, c’est tout ce qu’a le jeune garçon : pendant que sa mère, répétitrice auprès des familles riches et illustres, disparaît le jour et parfois la nuit, il reste enfermé, seul. Valentin n’a pas de nom. Né dans les confins, il est un enfant de cette multitude que sa mère et lui ont fuie au moment où l’ordre durcissait la séparation entre les différents milieux. Bien décidé à accomplir son ascension, il est vite rattrapé par sa mémoire, par le passé de sa mère, par les désordres grandissants dans cette société si paisible qu’elle en est violente, si ouverte qu’elle en est brutale, si ordonnée qu’elle est en proie aux luttes de pouvoir insidieuses.

Valentin a vingt ans quand il tombe sur Arsène. Ses garde-fous s’effondrent. Soudain, il se retrouve plongé dans le bain de la révolte et du désir. Quand tout déraille, Valentin plane, s’écroule, se relève, prend des coups, les rend. Il chasse la vérité comme il court après l’amour.

En déplaçant le curseur de ce qui est réel et ce qui ne l’est pas, empruntant les voies du roman social, de la dystopie et du récit d’apprentissage, Diana Filippova tend un miroir à une société d’une monstrueuse bienveillance. En Valentin, on retrouve les ombres de Martin Eden, Winston Smith ou encore Holden Caulfield. À sa suite, on traverse ce monde où tout est permis, mais rien n’est possible. Pas même l’amour ?

L’amour et la violence, 20 €, 135 x 210, 352 pages, ISBN : 9782080253378.

Parution le 25 août 2021.