Extrait…

« À Cagliari, il fait toujours beau et il fait toujours chaud, du moins quand les Signorelli y viennent. Une main sur la rampe de l’échelle métallique qui descend de l’avion, l’autre agrippée à celle de Beppe, Suzanne prend enfin plaisir à cette chaleur qui accable l’Europe. Rien à faire, elle s’inquiète moins du dérèglement climatique dans des endroits où il fait toujours beau et toujours un peu trop chaud. Moins en tout cas que dans cette Angleterre laissée ce matin derrière eux. Son mari et ses fils n’ont ni chaud ni froid : les Signorelli n’aiment pas s’inquiéter pour les choses qu’ils ne peuvent contrôler. L’état civil de Suzanne, comme son compte en banque, ont beau certifier qu’elle est une Signorelli depuis son mariage avec Paolo, elle s’inquiète, elle, pour à peu près tout. Marta, la belle-mère de Suzanne, répète que c’est fini, qu’il y a trop de monde, qu’elle ne viendra plus après le 31 mai, elle n’y résiste pas et revient chaque année. Trop tard pour recréer ailleurs, d’un claquement de ses doigts légèrement arthritiques, la vie sociale qu’elle a depuis quarante ans patiemment construite sur cette portion de côte sarde – à défaut de voir éclore le projet pétrolier de son mari mégalomane. »

Marchands de sable, parution le 30 août 2023, 22 €, 145 x 220, 336 pages, ISBN : 9782080411693. 

Agnès Mathieu-Daudé est née en 1975. Elle a publié aux Éditions Gallimard Un marin chilien (2016), prix Révélation de la Société des gens de lettres, L’Ombre sur la lune (2017) et La ligne Wallace aux Éditions Flammarion (2021). Elle écrit également des livres pour enfants à L’École des loisirs.

Le livre…

C’est sans entrain que Suzanne, avec mari et enfants, pose ses valises pour quelques semaines de vacances dans la maison de sa belle-famille, en Sardaigne. En épousant l’héritier Signorelli, elle a voulu laisser derrière elle une enfance ordinaire passée dans le sud de la France. Mais ce qu’elle voyait comme une délivrance s’est mué ces derniers temps en emprisonnement : la plage privatisée de la côte sarde ne lui fait guère plus envie que celle de Palavas-les-Flots où elle s’est tant ennuyée. Et le vague sentiment de dégoût que lui inspiraient les Signorelli prend une ampleur nouvelle quand elle découvre la vérité sur cette côte vendue pour des essais militaires, les convoitises liées au pétrole non loin de là et la responsabilité déjà ancienne de sa belle-famille – de son mari et de ses enfants, bientôt ? – dans cette dégradation. Les Signorelli contribuent à faire tourner ce monde à l’envers tout en dépliant joyeusement leur serviette sur cette plage plus inégalitaire que jamais et menacée par la catastrophe écologique. Ne serait-ce pas eux, plutôt que les dizaines de vendeurs ambulants, les véritables marchands de cette plage ?

En mettant en scène une famille d’industriels italiens dont l’histoire embrasse si bien le XXe siècle qu’elle finit par se confondre avec celle du capitalisme, Agnès Mathieu-Daudé livre un roman aussi précis que féroce sur la façon dont les intérêts personnels non seulement ne participent plus à l’intérêt général, mais finissent par se retourner contre ceux-là mêmes qui croient les suivre.