Extrait…
« La Perruque était toute petite, maigre comme un portemanteau et ridée à tel point que, au moindre mouvement, elle semblait interrompre un inexorable processus de momification. Elle vivait seule au bout de la rue, dans un ensemble d’immeubles sur trois étages que l’on retrouvait dans tout le quartier et qui se voyait parfois interrompu par quelque terrain vague sinistre. Ces brèches donnaient au pavé un air de gencive malade, comme si d’énormes dents avaient été arrachées de-ci de-là sans aucune logique, ne laissant à la place qu’une infection incurable et un vide grumeleux. De même que le postiche de la Perruque lui avait donné son surnom, c’était le déclencheur de sa méchanceté, qu’il valait mieux ne pas attiser. Elle aurait dû me faire peur mais son allure m’attendrissait, la ligne irrégulière et tremblotante de son trait autour des yeux et son rouge à lèvres mal étalé me rappelaient mon propre maquillage clandestin d’alors, que j’appliquais à toute vitesse dans la salle de bains de ma grand-mère, avec l’habileté d’une gamine de cinq ans pas spécialement douée pour les coups de pinceau. Mes premiers pas en tant que travestie furent ceux d’une transformiste d’un mètre vingt imitant une vieille dame sorcière et chiffonnière qui sentait la morgue. »
La Mauvaise Habitude, parution le 23 août 2023, 22,50 €, 135 x 210, 272 pages, ISBN : 9782080428431. Traduit de l’espagnol par Margot Nguyen Béraud.
Alana S. Portero est née à Madrid en 1978 au sein d’une famille ouvrière. Dramaturge, elle écrit aussi dans de nombreuses revues sur le féminisme, l’activisme LGBT et l’expérience des femmes trans. La Mauvaise Habitude, dont les droits ont été cédés dans 11 pays, est son premier roman.
Le livre…
Jeune fille coincée dans un corps de garçon qu’elle ne sait habiter, l’héroïne de La Mauvaise Habitude retrace son parcours, de son enfance dans les années 1980, où elle grandit dans une famille de la classe ouvrière de San Blas, un quartier populaire madrilène dévasté par la drogue, à ses nuits clandestines au cœur du Madrid des années 1990. Telles la Margarita, diva fanée qui hante le quartier, la fière Moraíta à la sauvagerie de chimère, ou la Cartier, toujours parée de ses rutilants bijoux de pacotille, nymphes triomphantes et anges déchus l’accompagnent dans son odyssée personnelle. Une odyssée envers et contre l’asphyxie des faux-semblants, la lâcheté et la violence qui la guettent à chaque pas, pour apprendre à exister en habitant sa propre légende et marcher la tête haute.
À travers ce premier roman cru et féroce, drôle et émouvant, la voix lumineuse et vibrante de la narratrice d’Alana S. Portero nous entraîne dans une sublime quête d’identité attelée à l’espoir de pouvoir enfin devenir soi.