Le livre…

Du Nana de Zola au King Kong théorie de Virginie Despentes, la prostituée est, depuis toujours, une figure littéraire. Pour autant, lorsqu’un matin d’été Emma Becker est entrée dans mon bureau, je suis restée sans voix. J’avais passé la nuit précédente avec le manuscrit de La Maison et j’étais encore sous l’emprise du texte et de ce monde interdit au cœur duquel elle m’avait entraînée, de chambre en chambre, d’une fille à l’autre. La précision de son écriture sans l’once d’une afféterie, l’intelligence de ses silences, la force addictive de ce que je savais déjà être un grand livre sur la puissance des femmes et l’abyssale solitude des hommes ne m’avaient pas préparée à rencontrer un auteur si jeune. Je contemplais sa silhouette adolescente, son visage de madone qui absorbait la lumière pendant qu’elle répondait sérieusement à mes questions.

Trois ans auparavant, après avoir publié deux livres salués par la critique, Emma Becker avait donc rejoint une maison close berlinoise pour écrire – de l’intérieur, à l’intérieur – la singularité de son expérience, sa vérité. L’aventure devait durer une année, elle y resta deux ans et demi. Pourquoi ? « Parce que j’y étais bien. Si la Maison n’avait pas fermé peut-être y serais-je encore… » répondit-elle tranquillement.

Au-delà des polémiques féministes que La Maison transformera en matière inflammable, Emma Becker s’imposa alors à moi comme l’incarnation même de la liberté sereine.

Anna Pavlowitch

La Maison, parution le 21 août 2019, 21 €, 145 x 220, 384 pages, ISBN : 9782081470408.

Emma Becker est née en 1988 dans les Hauts-de-Seine. Elle est l’auteur de Mr. (2011) et de Alice (2015) publiés chez Denoël et traduits dans quatorze pays. Elle vit aujourd’hui à Berlin.

Emma Becker…

La prostitution a toujours été une source de fascination pour nombre d’auteurs et un thème récurrent en littérature. Était-ce votre cas avant d’écrire La Maison ?

Plus que la prostitution en soi, c’est le lieu de la maison close qui m’a toujours fascinée. Je pense à la maison Tellier, l’établissement familial, ou aux chambres de Belle de jour, où il ne fait aucun doute que ce sont les femmes qui gouvernent. L’échange de sexe contre de l’argent a été traité littérairement à maintes reprises ; mais le regard d’une femme sur le bordel, qui est un tel laboratoire, me semblait crucial et manquer. C’était se réapproprier un lieu féminin. La maison close, ainsi que mon livre, sont des expériences sur la féminité.

Comment différencieriez-vous l’expérience de l’écriture et l’écriture de l’expérience ?

L’écriture est à mon sens un second temps de l’expérience, une plongée au cœur de cette expérience, pour en éprouver toutes les dimensions. Je n’ai jamais pu vivre quoi que ce soit sans être déjà en train de l’écrire, simultanément. Ce qui, peut-être, trouble à bien des égards mon ancrage dans la réalité – mais je le conçois comme une façon de me rappeler pour toujours des événements qui me construisent et me marquent, de me les répéter à l’infini.

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