Extrait…
« L’escouade d’élite de Défenseurs chargée d’aller chercher la Vieille Carne dirait plus tard, s’exprimant sous couvert d’anonymat, qu’ils avaient trouvé le Père de la Nation allongé sur un canapé, entouré des portraits les plus splendides de ses jours de gloire, lui-même encore plus splendide, si bien qu’ils durent rassembler tout leur courage pour ne pas se prosterner et chanter ses louanges. Ils dirent qu’il buvait du thé anglais et mangeait des scones et écoutait la Voix du Jidada comme il le faisait tous les soirs. Il était dans un tel état de quiétude bouddhique que les Défenseurs n’eurent pas le courage de l’interrompre, et attendirent très respectueusement sur le seuil qu’il ait fini de boire son thé.
Les Défenseurs reconnurent que toute l’opération avait un sale goût de péché et que même s’ils avaient pris le temps de la préparer, quand le moment crucial arriva, tholukuthi ils furent mal à l’aise. Les chiens ne cessaient de présenter des excuses tandis qu’ils rassemblaient la Première Famille et l’emmenaient sous bonne garde, et tout ce temps ils évitaient le regard tranchant du Père de la Nation qui menaçait de les éventrer et de déchirer leurs boyaux, leur foie et leur cœur. Que même dans ces circonstances, tholukuthi il paraissait si régalien, si né pour régner, trop beau pour être intimidé, trop beau pour être détrôné, et trop beau pour mourir. »
Glory, parution le 23 août 2023, 23,90 €, 145 x 220, 464 pages, ISBN : 9782080415400. Traduit de l’anglais (Zimbabwe) par Claro.
NoViolet Bulawayo a grandi à Bulawayo, au Zimbabwe,
avant de s’installer aux États-Unis. Glory, dont les droits ont été cédés dans 12 pays, a été finaliste du Booker Prize, tout comme son premier roman.
Le livre…
Il y a longtemps, dans un pays de cocagne pas si lointain, les animals vivaient heureux. Puis vinrent les colonisateurs. Après de longues années de domination, une guerre de Libération sanglante rendit l’espoir aux citoyens. Elle leur apporta un nouveau dirigeant, un cheval tyrannique – la Vieille Carne – qui commandait au soleil et gouverna, gouverna et gouverna encore, avec l’aide d’un cercle d’Élus, d’un groupe de cruels Défenseurs et, quand il fut vieux, de sa jeune épouse bien-aimée, l’ambitieuse ânesse Merveilleuse.
Mais même les sots de ce monde savent qu’il n’y a de nuit si longue qui ne s’achève par une aube. Et elle s’acheva pour la Vieille Carne un jour où elle prenait son thé Earl Grey en écoutant son émission de radio préférée. Une fois de plus, les animals retrouvèrent l’espoir.
Glory raconte l’histoire d’un pays pris dans un cycle vieux comme le monde. Et pourtant, tout en révélant les artifices nécessaires pour maintenir l’illusion d’un pouvoir absolu, cette satire mordante nous rappelle que l’Histoire peut basculer en un clin d’œil : il suffit du retour d’exil d’une fille depuis longtemps disparue, d’élections libres, justes et crédibles, d’un vent changeant – même d’une simple balle.