Extrait…
« — Tu l’as vu, toi, son dernier film ? m’a demandé Antoine.
J’ai hésité à lui avouer la vérité. Oui je l’avais vu. Et bien avant qu’il ne sorte. Paul m’avait invitée à assister à une projection privée, en compagnie de l’équipe. Sur le coup, ça m’avait surprise. Ça faisait longtemps qu’il ne faisait plus ce genre de choses. Convier l’un d’entre nous à des projections, des avant-premières. Nous envoyer des invitations pour ses pièces. D’ailleurs, les rares fois où nous le croisions, sans papa puisque depuis leur ultime affrontement c’était devenu impossible, et jamais dans cette maison parce qu’il était hors de question que notre père quitte son propre domicile pour nous laisser le champ libre, nous ne parlions jamais de ses productions. C’était un sujet tabou. Il ne voulait avoir à se justifier sur rien, et de toute façon selon lui nous “ne pouvions pas comprendre”, n’étions pas à la bonne distance, celle du spectateur. Nous surinvestissions ses créations, et de façon biaisée. Nos liens, notre passé commun nous aveuglaient. Ça ne menait à rien. Sinon à des dialogues de sourds. En définitive, s’il avait appris une chose de sa vie d’artiste, c’est que ça ne pouvait pas bien se passer avec les proches, en particulier la famille. »
Dessous les roses, parution le 24 août 2022, 21 €, 135 x 210, 224 pages, ISBN : 9782080286192.
Olivier Adam est né en 1974. Il est l’auteur de nombreux romans, parmi lesquels Je vais bien, ne t’en fais pas (Le Dilettante, 2000), Falaises (L’Olivier, 2005), Des vents contraires (L’Olivier, prix RTL-Lire 2009), Les Lisières, Peine perdue, La Renverse, Une partie de badminton et Tout peut s’oublier (Flammarion, 2012, 2014, 2016, 2019 et 2020).
Le livre…
« — Tu crois qu’il va venir ? m’a demandé Antoine en s’allumant une cigarette.
J’ai haussé les épaules. Avec Paul comment savoir ? Il n’en faisait toujours qu’à sa tête. Se souciait peu des convenances. Considérait n’avoir aucune obligation envers qui que ce soit. Et surtout pas envers sa famille, qu’il avait laminée de film en film, de pièce en pièce, même s’il s’en défendait.
— En tout cas, a repris mon frère, si demain il s’avise de se lever pour parler de papa, je te jure, je le défonce.
— Ah ouais ? a fait une voix derrière nous. Je serais curieux de savoir comment tu comptes t’y prendre…
Antoine a sursauté. Je me suis retournée. Paul se tenait là, dans l’obscurité, son sac à la main. Nous n’avions pas entendu grincer la grille. J’ignore comment il s’y prenait. Ce portillon couinait depuis toujours. Aucun dégrippant, aucun type d’huile n’avait jamais réussi à le calmer. Mais Paul parvenait à le pousser sans lui arracher le moindre miaulement. »